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17/05/2013

Paul Celan, La Rose de personne [Die Niemandsrose]

Paul Celan, La Rose de personne [Die Niemandsrose], Martine Broda, amante, nom

Avec toutes les pensées je suis sorti

hors du monde : tu étais là,

toi, ma silencieuse, mon ouverte, et —

tu nous reçus.

 

Qui

dit que tout est mort pour nous

quand notre œil s'éteignit ?

Tout s'éveilla, tout commença.

 

Grand, un soleil est venu à la nage, claires,

âme et âme lui ont fait face, nettes,

impératives, elles lui ont tu

son orbe.

 

Sans peine,

ton sein s'est ouvert, paisible,

un souffle est monté dans l'éther,

et ce qui s'est nué, n'était-ce pas,

n'était-ce pas forme, et sortie de nous,

n'était-ce pas

pour ainsi dire un nom ?

 

 

Mit allen Gedanken ging ich

hinaus aus der Welt : da warst du,

du meine Leise, du meine Offne, und —

du empfingst uns.

 

Wer

sagt, dass uns alles erstarb,

da uns das Aug brach ?

Alles erwachte, alles hob an.

 

Gross kam eine Sonne geschwommen, hell

standen ihr Seele und Seele entgegen, klar,

gebieterisch schwiegen sie ihr

ihre Bahn vor

 

Leicht

tar sich dein Schoss auf, still

stieg ein Hauch in den Äther,

und was sich wölkte, wars nicht,

wars nicht Gelstalt und von uns her,

wars nicht

so gut wie ein Name ?

 

Paul Celan, La Rose de personne [Die Niemandsrose], traduction de Martine Broda, Le Nouveau Commerce, 1979 [1963], p. 31 et 30.

28/03/2013

Andrea Zanzotto, Essais critiques

Andrea Zanzotto, essais critique, Paul Celan, poésie, Auschwitz, histoire

                                    Pour Paul Celan

 

   Pour quiconque, et tout particulièrement pour qui écrit des vers, prendre contact avec la poésie de Celan, fût-ce en traduction et sous une forme partielle et fragmentaire, se révèle bouleversant. Celan mène à bien ce qui ne semblait pas possible : non seulement écrire de la poésie après Auschwitz, mais encore écrire "dans" ces cendres-là pour aboutir à une autre poésie en pliant cet anéantissement absolu, tout en demeurant, d'une certaine façon, au sein de cet anéantissement. Celan traverse ces espaces effondrés avec une force, une douceur et une âpreté qu'on n'hésiterait pas à qualifier d'incomparables : mais frayant son chemin à travers les encombrements de l'impossible, il engendre une éblouissante moisson d'inventions, d'une importance décisive pour la poésie de la seconde moitié du XXe siècle, européen et au-delà, celle-ci se révèle néanmoins exclusives, excluantes, sidéralement inégalables, inimitables. Toute herméneutique, que toutefois elles attendent et prescrivent impétueusement, s'en trouve mise en crise.

   Au reste, Celan avait toujours su que plus son langage allait de l'avant, plus il était voué à ne pas avoir de signification, pour lui, l'homme avait déjà cessé d'exister. Même si d'incessants sursauts de nostalgie pour une autre histoire ne font pas défaut dans ses écrits, celle-ci lui apparaît comme le développement d'une négation insatiable et féroce : le langage sait qu'il ne peut se substituer à la dérive de la déstructuration pour la transformer en quelque chose d'autre, pour en changer le signe : mais, dans le même temps, le langage doit "renverser" l'histoire, et plus que l'histoire, même s'il se révèle tributaire d'un tel monde, il doit le "transcender" pour en signaler au moins les effroyables déficits.

[...]

 

Andrea Zanzotto, Essais critiques, traduits de l'italien et présentés par Philippe Di Meo, éditions José Corti, 2006, p. 17-18. 

19/01/2013

Paul Celan, Enclos du temps

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Mon

âme incline vers toi

t'entend orager,

 

dans le creux de ton cou mon étoile

apprend comment on sobre

et devient vrai,

 

des doigts, je la tire au dehors —

viens, entends-toi avec elle,

encore aujourd'hui.

 

Meine

dir zugewinkelte Seele

hört dich

gewittern,

 

in deiner Halsgrube lernt

mein Stern, wie man wegsackt

und wahr wird,

 

ich fingre ihn wieder heraus —

komm, besprich dich mmit ihm,

noch heute.

 

Paul Celan, Enclos du temps [Zeitgehöft],

Clivages, 1985, np.

16/04/2011

Guennadi Aïgui, Dernier ravin

 

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                                                 Dernier ravin

                                                    (Paul Celan)

 

       

                                                                                                                               à Martine Broda

 

Je monte ;

ainsi, en marche,

un temple

se construit.

Vent de fraternité, — et nous, en ce nuage :

moi ( et un mot inconnu,

comme hors de mon esprit) et l’armoise (cette amertume inquiète

qui près de moi m’enfonce

ce mot)

armoise.

Argile,

sœur.

Et, de tous les sens, le seul étant, inutile-essentiel,

là (dans ces mottes tuées),

comme un nom inutile. Ce

mot-là me tachant, lorsque je monte

dans la très simple (comme un feu) illumination,

pour se marquer — marque dernière au lieu

de la cime ; elle —

vide (tout est déjà donné)

visage : comme un lieu sans-douleur

dans un surplomb — un au-dessus l’armoise

(…

Et

la forme

resta

inaperçue

…)

et le nuage :

plus aveugle qu’acier (une-arme-non-visage)

le fond — inerte ; la lumière

comme jaillie d’une pierre béante.

Toujours plus

haut.

 

Guennadi Aïgui, Hors-commerce Aïgui, textes réunis et traduits par André Markowicz, Le Nouveau Commerce, 1993, p. 99-100.